Phoenix, Snow Therapy, Discount / Revue de films
Publié le 6 Février 2015
Phoenix de Christian Petzold
"Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Nelly, une survivante de l'Holocauste revient chez elle. Elle apprend que toute sa famille est morte. Il ne lui reste que son mari qui est aussi celui qui l'a trahie. Laissée pour morte et défigurée, elle a dû faire reconstruire son visage. Lorsqu'elle reprend contact avec son mari, il ne le reconnait pas mais la ressemblance avec sa femme disparue, lui donne l'idée de se servir d'elle pour réclamer l'héritage..."
Dans le film il est beaucoup question de reconstruction. Reconstruction d'un pays en cendres, d'une femme en miettes, d'un homme qui s'est perdu.
J'aime les réflexions qui découlent, toutes les questions qui sont évoquées parfois rapidement et subtilement.
Il faut se remettre dans le contexte de l'époque. Les rescapés des camps n'ont pas forcément été accueillis à bras ouverts. On ne voulait pas les voir, ils étaient le témoignage de la lâcheté, de l'acceptation de toute une population, du monde entier même... Ils ne voulaient et ne pouvaient parler car personne n'aurait envie de les croire.
Quand Nelly (exceptionnelle Nina Hoss) revient, son avenir semble tracé avec un départ programmé pour Israël, le "seul endroit où les juifs pourront vivre en paix". Lorsque qu'elle revoit son mari, qui ne la reconnait pas, il lui dit de ne surtout pas raconter son expérience des camps et que de toute façon, personne ne lui posera de questions. Tellement vrai,
...Il ne la reconnait pas et on se dit que ce n'est pas possible car outre la ressemblance physique, il y a des faits troublants. Mais mon avis c'est qu'il ne peut pas la reconnaître tellement il est persuadé qu'elle morte. Combien sont-ils à être revenus ? La reconnaître c'est aussi se prendre sa lâcheté et sa trahison de plein fouet.
Le film montre l'état d'un paysMarceline Loridan-Ivens "Les camps détruisent même ceux qui n'y sont pas allés"...
. Comme le dit la rescapéePhoenix est surtout une histoire d'amour racontée avec toute la déception et l'amertume d'une femme trahie et blessée. Une femme qui s'accroche à son amour perdu, probablement la seule chose qui la retient à la réalité...
... Un film qui m'a bouleversée...
Snow Therapy de Ruben Östlund
"Une famille suédoise passe ensemble quelques précieux jours de vacances dans une station de sports d’hiver des Alpes françaises. Le soleil brille et les pistes sont magnifiques mais lors d’un déjeuner dans un restaurant de montagne, une avalanche vient tout bouleverser. Les clients du restaurant sont pris de panique, Ebba, la mère, appelle son mari Tomas à l’aide tout en essayant de protéger leurs enfants, alors que Tomas, lui, a pris la fuite ne pensant qu’à sauver sa peau…"
Le cadre : un bel hôtel de luxe où rien ne dépasse, tout est nickel et froid comme le décor enneigé tout autour. Tout est réglé comme du papier à musique dans cette station de ski hyper moderne avec ses coups de canons qui déclenchent des avalanches contrôlées pour sécuriser le domaine skiable. Tout est réglé au carré comme les brosses à dents électriques de la famille parfaite, ambiance photo pour les magazines (
).Jusqu'au jour, où petit accroc sous la forme d'une avalanche qui dépasse légèrement les limites vient chambouler tout l'univers que ce gentil couple avec deux enfants s'était construit.
La femme et les enfants qui se demandent "Mais qui est cet homme, ce mari, ce père ?" Ce n'est pas la réaction qu'on attend d'un père ou d'un mari aimant.
L'orage semble être passé mais les conséquences se manifestent jusqu'à pourir la vie de Ebba qui avoue n'être plus heureuse.
L'occasion de réfléchir sur leur couple, sur les attentes de chacun vis à vis de lui même et de la famille. L'avalanche déclenche des choses qui devaient sortir mais qui restaient coincées dans l'enchainement de la routine quotidienne.
La mise en scène accentue un petit côté thriller glaçant, c'est le moins qu'on puisse dire, ambiance savamment entretenue tout au long du film. J'ai toujours eu le sentiment qu'il allait se passer quelque chose de grave... Beaucoup d'humour notamment quand les problèmes du couple rejaillissent sur un couple d'amoureux rencontré à l'hôtel.
La fin avec la scène de l'autocar est à mon avis pas indispensable, le film aurait pu s'arrêter avant, dommage... J'ai bien aimé sans plus.
Discount de Louis-Julien Petit
"Pour lutter contre la mise en place de caisses automatiques qui menace leurs emplois, les employés d’un Hard Discount créent clandestinement leur propre "Discount alternatif", en récupérant des produits qui auraient dû être gaspillés…"
Les premières minutes installent l'ambiance dure et froide d'un magasin hard discount et montre la façon dont est traité le personnel. On a froid dans le dos parce qu'on sait que c'est la réalité et que la réalité peut être encore pire : les marchandises jetées et javellisées, les pauses pipi minutées, la fouille humiliante à la sortie...
Conditions qui s'aggravent avec l'arrivée des caisses automatiques. Il faut licencier et promouvoir la concurrence interne, voilà la bonne idée de la directrice impecablement jouée par Zabou Breitman. La jeune fille affranchie des traditions familiales qui s'est hissée en haut à la force du poignet et en consacrant sa vie au travail. Elle même n'est pas mieux traitée par ses supérieurs et pourtant elle reproduit le schéma avec ses employés. Toute trace d'humanité a disparu au profit du rendement et des bénéfices.
Une petite bande décide de se révolter à sa façon avec le maitre mot du film comme code de valeur : la solidarité ! Evidemment que leur trafic n'est pas légal mais qu'est ce que ça fait du bien de les voir faire la nique à la grande distribution.
"Y'a pas de raison que les pauvres y bouffent de la merde"
Ils nous montrent une acte de résistance citoyenne qui fait chaud au coeur et qui occasionne de bonnes parties de rigolade grâce à des répliques bien senties sur leur situation professionnelle et personnelle.
On voit bien qu'ils ont les yeux plus gros que le ventre mais ils sont tellement persuadés de faire une bonne action et on peut comprendre leur enthousiasme quand on voit toutes ces familles modestes faire leurs courses comme si c'était Noël avec la banane et des remerciements plein les yeux et les coeurs.
Un feel good movie qui s'intéresse aux oubliés de la société, aux gens qui rament et qui galèrent en permanence, aux gens qui comptent leurs dépenses à l'euro près...
La solidarité qui se crée dans le film, tout le monde veut aider à son petit niveau, est galvanisante.
Tout l'équipe de comédiens, Corinne Masiero en tête, (si vous avez déjà passé du temps avec des gens de Picardie vous vous y croirez !) mérite un César collectif pour l'interprétation. Ils sont formidables de sincérite et d'humanité.