La grève, la galère, la misère, la force..
Publié le 14 Décembre 2019
J'habite à 80km de Paris mais j'y travaille comme d'autres, comme plein d'autres. Ce fut un choix motivé par des raisons financières vu que se loger décemment à Paris se fait au détriment de tout quand on a un salaire qu'il faudrait mettre entièrement dans un loyer. Dans mon cas, ce fut aussi un choix motivé par une vie familiale plus confortable, la maison et le jardin pour le prix d'un petit studio et encore... moyennant un emprunt sur 25 ans ... Les deux étaient liés mais force est de constater que le budget logement pour un achat baissait avec les kilomètres qui augmentaient. Me voilà donc en Seine et Marne Sud (que j'adore), tributaire des transports en commun, qui déjà en temps normal, ne marchent pas comme il faudrait.
En banlieue et surtout en grande banlieue, voire en province proche, nous qui travaillons à Paris, là où est le gros du travail, nous sommes toujours les premiers impactés par les grèves des transports. Je ne vais pas ici faire de politique ni de polémique, encore moins employer des insultes homophobes, pourtant je suis fatiguée, très fatiguée...
Je vais partir de ma situation personnelle pour parler des autres, de tous ceux que j'ai rencontrés, lus, entendus sur les réseaux depuis le 5 décembre...
Bien avant la grève annoncée, j'ai eu du mal à dormir la nuit, échafaudant des scénarios et pourtant la réalité a été plus forte que moi, plus forte que nous tous, surtout certaines élites parisiennes qui ne se sont préoccupés que du 5 alors qu'on savait tous que ça durerait. J'ai vécu une première semaine en apnée. Je suis partie mercredi 4 décembre à Paris ne sachant jamais à l'avance quand et comment je pourrais regagner mon domicile pour embrasser ma fille. Dans mon histoire, heureusement que son père a pu faire du télétravail.
En résumé j'ai très peu et mal dormi, très peu dormi chez moi, fait du covoiturage tôt le matin ou très tard le soir pour me rapprocher de mon domicile ou de mon travail. J'ai eu un répit de trois jours chez moi, trois jours durant lesquels j'ai passé du temps sur l'ordi à échafauder de nouveaux plans pour la semaine à venir, un voyage familial à Strasbourg prévu de longue date, des rendez-vous médicaux etc... Et même la semaine de Noël qui peut totalement nous couper de la famille et du reste... Sans parler du stage obligatoire de troisième qui devient une aventure stressante pour les collégiens. Certains ont vu leur stage annulé cette semaine alors qu'il doit commencer ce lundi 16 décembre...
Je ne suis pas allée au cinéma, j'ai à peine lu, laissé mes projets personnels de côté, je n'ai pas pu faire mes séances de kiné, pas fait de shopping participant aussi à la merde noire dans laquelle sont les commerces physiques, Amazon va encore rafler la mise non ? Pas non plus regardé de série, ceux qui me connaissent savent... :) Comme si je m'étais mise en mode pause et je sais que beaucoup sont dans mon cas.
Je suis épuisée physiquement et nerveusement, j'ai pris 10 ans dans la tronche et youpi ça veut dire que je peux partir à la retraite bientôt !!!
Pourtant j'estime que j'ai de la chance et je ne dis pas tout ça pour me plaindre, c'est un simple constat. On a encore de le droit de constater dans ce pays non ? :D
J'ai été énervée jeudi 5 décembre d'entendre tous ces parisiens en mode frime "oh trop bien la grève, les trains sont vides, y'a personne dans le métro" ou "mais qu'est ce que ça roule bien dans Paris !" Forcément les banlieusards et même les provinciaux n'ont pas réussi à venir et on s'est tous arrangé pour les premières journées de grève. Plus d'1,2 millions de personnes viennent chaque jour bosser à Paris et ils étaient loin d'y être. Lundi tout le monde a pleuré...
J'ai fait du covoiturage avec des personnes qui étaient obligées d'aller travailler. Sans train il n'y a aucun autre moyen que de passer des heures dans sa voiture, sans parler du coût non prévu, essence, péage, parking... Je ne conduisais pas, privilège dans ces cas là. J'ai vu ceux qui partent à 4h du matin parce qu'ils commencent très tôt où pour éviter les 3 ou 4h de bouchons. J'ai vu l'entraide et la détermination de tous ceux qui en plus d'avoir un travail dur, ont un trajet de malade pour y arriver... et en repartir. (On voit bien aussi que l'idée d'abandonner la voiture pour des solutions plus écologiques n'est pas adaptée à notre réalité, les transports en commun sont encore très loin d'être la solution en Ile de France car déjà sans grève, c'est la galère...)
J'ai lu dans notre groupe facebook covoiturage le désespoir d'artisans, intérimaires, indépendants, petits salaires, étudiants.. autant de personnes en panique à l'idée de ne pas nourrir les enfants, payer le loyer à la fin du mois, perdre leur travail, rater les examens... Car même en période de grève intense, tous les patrons ne sont pas compréhensifs et ils sont aussi pénalisés si personne ne vient travailler...
J'ai lu et entendu des gens plus préoccupés par la fin de la semaine que la retraite hypothétique dans 20, 30 ans. Voilà une réalité du terrain. Comment se préoccuper sereinement de son avenir quand on a du mal à assurer le présent ? Certains n'ont même pas le luxe de penser à leur retraite...
J'ai lu l'incompréhension, la douleur. Si je ne travaillais pas moi-même et avec une voiture, j'aurais fait taxi pour certains qui m'ont bouleversé à chercher des covoiturages jour et nuit sans trouver... Je n'imaginais pas à quel point il y avait une diversité de trajets ni qu'autant de gens travaillaient si loin de leur domicile (pourtant j'en fais partie...). En tout cas clairement il n'y a pas de fainéants, les gens font tout ce qu'ils peuvent et dorment 4h par nuit pour essayer d'aller travailler coûte que coûte...
Tout le monde galère oui, certains plus que d'autres. Mais ce qui est flagrant c'est que les grèves censées "emmerder" un gouvernement ou des grosses entreprises ont pour effet premier de précariser encore plus les précaires, d'appauvrir les plus démunis et de faire suer ceux qui suent déjà le plus pour aller travailler. Ce sont les moins favorisés qui trinquent le plus et ça c'est un fait, pas une vue de l'esprit... Est ce que ça empêche vraiment de dormir ceux qui nous gouvernent ? Je sais que c'est dur aussi pour ceux qui font grève... Comment on fait alors ? Comment faire pour que ce ne soit pas toujours les mêmes qui subissent ? Je parle des transports parce que c'est ce qui pénalise le plus et qui entraîne d'autres galères en chaîne dans les endroits où le personnel ne peut arriver comme les crèches, les hôpitaux etc...
J'avais dit que je ne ferais pas de politique, je me contiens mais mon cerveau lui, il explose...

Et puis comme d'habitude la communication de la SNCF qui nous envoie des messages tous les jours pour nous dire de rester chez nous ou d'emprunter des solutions alternatives. D'ailleurs j'ai testé le fameux ViaNavigo qu'ils lancent comme le sauveur de l'humanité ! Qui a déjà réussi à trouver un covoiturage via la SNCF ??? En tout cas pas moi, jamais, pas une fois... Je reste sur un groupe privé de covoiturage et Blablacar... Vous n'imaginez pas les réactions des gens déjà usés qui reçoivent ces mails et notifications... tous les jours !
Heureusement que les usagers clients s'organisent entre eux. Je tiens à remercier les bénévoles du Collectif usagers de la Ligne R sur Facebook et ceux de la #TeamligneR sur Twitter qui font un boulot dingue pour nous informer le mieux possible, pour aller chercher les infos, pour secouer les instances dirigeantes souvent à l'ouest de la réalité du terrain et pour qu'on se soutienne tous le plus possible...
La semaine prochaine risque d'être encore bien usante, bon courage à tous... Peace and love...
