La vie en pandémie / Jour 1 et 2 / Samedi 14 et dimanche 15 mars 2020
Publié le 16 Mars 2020
Préambule... Je ne vais être ni la première ni la dernière à tenir mon journal de bord coronavirus confinement. On se dit tous que nous n'aurions jamais pensé vivre ça un jour, j'ai envie de garder une trace de mes émotions, de mon ressenti, de cette étape de vie qui commence et qui ne ressemblera à rien de ce qu'on a pu connaître.
Cela fait des semaines que je vois la réaction des Français face à tout ce qui passe, des jours que je vois les pays tout fermer les uns après les autres, l'escalade de morts et de cas dramatiques... comment une personne censée pourrait imaginer que nous n'allions pas faire la même chose ??
Il y a dix jours je ne connaissais personne touchée par ce virus et depuis c'est la fille d'une telle, la père d'une autre, le collègue de l'une, le prof de l'autre. Tout ça s'est dangereusement rapproché de nous tous. Parce qu'ils étaient vieux ou fragiles ils doivent mourir là maintenant ? Parce qu'ils ne vont pas en mourir il faut qu'ils testent 20 jours en réa sous respirateur ? Comment ne penser qu'à soi et s'en foutre de contaminer une autre personne plus faible ? J'ai eu la rage contre beaucoup de comportements égoïstes. Se rebeller contre un virus ? Sérieux ? Comment ne pas écouter les médecins, les urgentistes, les personnels soignants qui sont submergés ? Nos héros...

On parle de Paris et c'est vrai que beaucoup de parisiens sont stupides dans leurs réactions "Mais euh on va pas s'arrêter de vivre..." mais dans les petites villes ce n'est pas forcément mieux. L'inconscience et l'égoïsme n'ont pas de frontières c'est peut-être pour ça qu'il faut les fermer...
Samedi 14 mars
Hier j'ai travaillé, la journée a été d'une tension extrême entre nouvelles surréalistes, décisions incompréhensibles et situation qui évolue en permanence. Le discours d'Edouard Philippe à 13h nous a confirmé que nos activités allaient forcément s'arrêter. Depuis le discours du Président on attendait cette nouvelle. Dans le train du retour j'ai regardé les actualités et quand j'ai vu que la Tour Eiffel venait de fermer, je ne sais pas pourquoi, j'ai relâché toute la pression, les larmes sont venues...
La journée porte ouvertes du lycée a été annulée. On a trainé toute la matinée. Je pars avec ma fille pour son rendez-vous orthodontiste à Fontainebleau. Il y a un monde fou dans les rues de la ville, le parking du château est plein, j'ai du louper un épisode, c'est surréaliste. Après vérification, le château avait annoncé une fermeture à partir de lundi. Il est évident qu'entre jeudi soir et lundi, le virus aura beaucoup circulé en France... Le roi du monde...
Nous décidons d'aller remplir un caddie, le frigo est vide. Le moment est certes mal choisi mais c'est pas en rentrant à 20h chaque soir que nous pouvons faire autrement. Quelques rayons sont vides, sans surprises mais on a surtout besoin de frais. Il y a du monde mais ça va. J'espère qu'on tiendra entre deux et trois semaines parce même si on peut sortir faire ses courses, si on peut éviter d'y aller tous les jours c'est mieux.

Dans la voiture, je tousse un peu. A chaque fois que je tousse ou me sens bizarre ma fille me demande "Tu as le coronavirus ?" On en rigole mais au fond on espère bien que non !
Dès que je peux, je suis en boucle sur Twitter et les journaux en ligne. Comme beaucoup je ne peux pas m'en empêcher. J'échange aussi avec mes amis sur Whatsapp ou avec d'autres sur Instagram. Je sais que c'est anxiogène mais partager tout ça fait aussi du bien. Au moins quand j'écris ici je fais des pauses de réseaux ! On regarde un film le soir, une comédie pour se détendre "Made in China" avec Frédéric Chau et ce n'est même pas du second degré. C'est en l'écrivant là que je m'en rends compte !...
J'ai beaucoup de mal à m'endormir, je suis oppressée. Et pour couronner le tout j'ai mal ventre. Ce matin j'ai eu mes règles, la ménopause a décidé de me laisser encore au moins un an de répit ! Je sais que ce n'est pas anodin que mes règles arrivent aujourd'hui avec tout ce stress... Cela me fait penser que mon rendez-vous annuel gynéco, ça ne va pas être pour tout de suite...
Je réalise la chance que j'ai d'habiter presque à la campagne, dans une maison avec un jardin. Je ne peux m'empêcher de penser à ceux qui seront seuls ou mal accompagnés, les enfants maltraités, avec des conjoints violents, les parents avec des petits dans un appartement minuscule, les familles nombreuses dans les HLM, les personnes malades, fragiles, ceux qui ne pourront pas tenir financièrement... On ne sait pas ce qui nous attend, ce qui les attend...

Dimanche 15 mars
La nuit a été courte et agitée. J'espère que celle de Gérard Larcher a été pire. Ma première pensée au réveil est pour les élections. La seconde est que je ne me sens pas du tout d'aller à Paris lundi pour récupérer un ordinateur de télétravail. L'idée de faire 1h30 de transports matin et soir me stresse. La matinée s'écoule tranquillement, il fait beau et la question de voter ou pas me taraude. Je suis dans une petite ville de moins de 3000 habitants, il n'y a qu'un tour et deux candidates. Je trouve aberrant que les élections n'aient pas été reportées mais par respect pour les employés de mairie et les bénévoles qui se sont mobilisés car pas le choix je vais y aller. Je m'étais aussi engagée pour le dépouillement je suis moins sereine.
Je décide d'aller voter après le déj, en heure creuse. Juste avant je me connecte à la boite mail du bureau, on ferme tout et on met en place le plan de continuité de l'activité. Le père de ma fille reçoit les mêmes infos de sa boite. Ne venez pas au bureau lundi, ne prenez pas les transports etc. Je reçois également des nouvelles dramatiques des hôpitaux de l'est... Le confinement total n'est pas loin. J'arrive au bureau de vote avec mon stylo, mon gel, mon bulletin... L'entrée est contrôlée, je ne touche à rien, je ne m'approche de personne et je contourne l'isoloir, je n'y rentre pas. En effet faire ses courses est plus dangereux. Par contre les gens discutent dehors comme si de rien n'était, des petits groupes se rassemblent. Je rentre chez moi et je ne sais pas encore pour le dépouillement.
J'appelle ma cheffe et on convient qu'avec mon ordi perso je peux télétravailler et être joignable quand il faudra. On sait clairement que la semaine à venir va être très compliquée pour tout le monde et que la priorité est la santé de tous. Ouf, un poids en moins que de ne pas aller à Paris. J'annule le kiné aussi. Des semaines sans traitement, il va falloir que je me discipline à faire des exercices.

On fait une partie de ping-pong avant d'aller chercher un panier de légumes dans le restaurant de la ville contraint de fermer ses portes. Je croise des gens qui se font la bise. J'ai envie de hurler. On n'est pas rendu avec tous ces cons...
Je pars au dépouillement, est-ce que je suis inconsciente de tenir un engagement ? La foule de gens massée devant la salle me rend hystérique. Ils ne font rentrer que les assesseurs puis feront le compte jusqu'à 100. Je me dis que si je ne le sens pas, je repars direct. Les tables sont bien préparées et il y a une limite de distance, des gants, du gel, je me calme. On rigole pendant le dépouillement, ça se passe bien mais je suis consternée par les autres qui nous "surveillent" de loin et qui sont collés serrés... C'est pour ça que les élections sont dangereuses, pour les dépouillements. 100 personnes ça paraît beaucoup trop là...

Je repars chez moi sans avoir approché personne à moins d'1m, soulagée que ce soit fini. Je découvre que je peut être plus angoissée que je ne pensais, moi qui suis si zen d'habitude par rapport aux difficultés de la vie. Peut-être parce que je me sens désarmée là...
Le soir on regarde "Mon inconnue" de Hugo Gélin. Un moment où on ne pense à rien d'autre, ça fait du bien. J'ai néanmoins du mal à m'endormir... J'ai mal à la poitrine... Comme beaucoup j'imagine, je crois développer des symptômes du coronavirus dix fois par jour !! On se calme ma fille !
Je comprends pourquoi tout le monde achète du PQ, ici mon ventre est bien détraqué par le stress et l'angoisse !