Mon cinéma de Janvier 2024

Publié le 5 Février 2024

La zone d'intérêt de Jonathan Frazer

Le commandant d’Auschwitz, Rudolf Höss, et sa femme Hedwig s’efforcent de construire une vie de rêve pour leur famille dans une maison avec jardin à côté du camp.

L’écran noir du début très long pour symboliser la non représentation et fictionnalisation de la Shoah ?

Premier constat en sortant de la séance, je me suis ennuyée et j’ai trouvé le film trop long. Pourquoi ? Ça m’a fait réfléchir longuement. Est-ce que c’est le genre de film trop petit pour le sujet dont il parle ? Est-ce que le sujet est beaucoup plus fort que l’objet cinématographique ?

Et en laissant murir ma réflexion, je me suis ennuyée parce que la vie des Höss est ennuyeuse, étriquée, routinière, celle de petites gens assoiffées de pouvoirs sur les juifs, les domestiques, les polonais, les autres officiers, les autres femmes. Celle de petites gens s’accommodant de tout du moment qu’ils en retirent de l’argent, des bijoux, du sexe et des tas d’avantages qui les font se sentir au-dessus des autres. Une vie dont ils ne se rendent même pas compte à quel point elle est inintéressante coincés dans leur autarcie cauchemardesque.

Ceci posé, je peux parler du reste, en dehors de l’ennui réel ressenti que je ne peux nier. Des gens vivent normalement à côté d’horreurs qui se passent sous leurs yeux, c’est banal malheureusement. Ici, ils participent aussi à l’horreur, c’est leur travail et c’est devenu même un plaisir on le sait. Cette banalité est explorée aussi dans la dernière partie du film où l’on suit le Commandant dans ses réunions nazi où l’on discute solution finale comme on arrose ses fleurs. C’est froid, tétanisant de simplicité. Ceux qu’on tue ne sont plus des êtres humains mais des choses à éliminer.

C’est dans les détails glaçants que l’on mesure l’horreur d’à côté, une botte tachée de sang, des habits à répartir, de la cendre comme engrais... plus que par les bruits ambiants qui font partie du décor et ajoutent à la banalité de leur quotidien. Le travail sur le son est incroyable et remarquable.

Une famille avec une femme aussi horrible que son mari dans un autre style. Le déni et le profit. On s’interroge beaucoup, tout le temps. Leur humanité existe pourtant un peu avec leurs enfants même si ça pourrait être plus chaleureux. On se demande comment ils font pour vivre dans leur bulle et entendre tout sans que cela les dérange.

Un élément de réponse avec le sommeil car tout le monde ne dort pas bien dans cette maison que ce soient les enfants ou le personnel. Et l’hypocrisie de la grand-mère de passage qui accepte et supporte tout ce qui se passe mais il faut que ce soit loin d’elle. Les enfants eux n’ont pas choisi leur lieu de vie, ils s’adaptent plus ou moins et ce bébé qui pleure tout le temps doit bien les ressentir les mauvaises ondes.

Je me suis demandé aussi pourquoi je n’avais pas été émue plus que ça. Le résultat scénique m’a fait penser au film de Lars von Trier, Dogville avec ce dispositif particulier de décor en mode observation. Avec des plans larges et jamais de gros plans, la mise en scène crée un détachement tout en voulant nous mettre à la hauteur de ces gens. Le détachement a tellement agi sur moi que je n’ai pas eu d'émotions bouleversantes. Mais ce n'est pas ce qui compte finalement car à mon sens, et dans ce film, la réflexion est plus pertinente que l'émotion.

Ce sont les images du musée d’Auschwitz qui ont été les plus fortes, faisant écho à ce que j’ai vu de mes yeux en allant à Dachau. Ces scènes perpétuant le devoir de mémoire qu’il faut cultiver car comme je l’ai lu à l’entrée du camp « Qui ne se souvient pas de son passé est condamné à le revivre... »

Ce n’est pas un film que je peux dire aimer ou détester, c’est un film nécessaire et important, documenté et préparé longuement qui raconte une histoire que l’on connait par le biais de cette zone d’intérêt que l’on connait moins.

Un film qui amène à porter un regard forcément contemporain sur la Shoah. Ce que nous savons ou pas à titre personnel de part nos familles, nos lectures, nos visions de documentaires ; ce que nous devinons, ce que nous ne pouvons imaginer, nous y mettons tous quelque chose qui donne au film sa force.

Iron claw de Sean Durkin

Les inséparables frères Von Erich ont marqué l'histoire du catch professionnel du début des années 80. Entrainés de main de fer par un père tyrannique, ils vont devoir se battre sur le ring et dans leur vie.

Je ne suis pas du tout fan de catch et j’ai aimé que le film ne soit pas plus démonstratif même s’il y a des combats. On comprend mieux les dessous de ce sport, les entrainements, les arrangements, les enjeux télévisés, le show... mais je ne comprends toujours pas l’engouement ! ⠀

Un drame familial brillamment mis en scène et raconté du point de vue de Kevin (Zac Efron excellent dans ce rôle inhabituel), le frère "ainé" d’une fratrie de 4. Un frère qui s’est donné le rôle de protecteur non revendiqué par des parents retenant toutes les émotions et ne favorisant jamais le dialogue ni l’écoute. Des garçons élevés dans le culte du catch et de Dieu. Un père qui a érigé des remparts avec l’accord tacite d’une mère. Et le culte du toujours plus, peu importe le reste. Des fils interchangeables en fonction de leur réussite au catch. Mike, le plus jeune aux ambitions musicales estbientôt rattrapé par les ambitions familiales. ⠀ Une fratrie renforcée par des manques. Un des très beaux sujets du film, la fratrie. ⠀

C’est histoire classique d’un père frustré qui réalise ses rêves à travers ses enfants mais rien de classique dans la manière dont cela s’est déroulé. On assiste à un vrai système d’emprise familial. Qu’est ce qui n’est dû qu’à l’éducation et qu’est-ce qui résulte du libre-arbitre ? On se pose souvent la question selon les choix des fils. Au fur et à mesure des dommages collatéraux comme en parle le père, la fratrie est bouleversée. Comment briser un cercle infernal dans une famille où les parents ne se remettent jamais en question ? Et pour Kevin, une vraie question, comment ne pas devenir son père ? Il lui faudra parcourir un long chemin pour briser le mal être général de sa famille et réussir à être peut-être enfin heureux. La magnifique fin m'a laissé les yeux mouillés. Un film très riche pour une histoire vraie poignante avec un casting de choix. Un coup de coeur !

Les chambres rouges de Pascal Plante

Deux jeunes femmes sont là tous les jours aux portes du palais de justice de Montréal pour pouvoir assister au procès hypermédiatisé d’un tueur en série qui les obsède, et qui a filmé la mise à mort de ses victimes pour les monnayer sur le web.

Le film démarre au tribunal avec l’introduction de l’avocate des victimes qui nous glace le sang. L’horreur des crimes sur trois jeunes adolescentes est insoutenable. L’atmosphère du procès est étouffante avec des jeux de caméra qui s’éloignent et se rapprochent pour des gros plans. La construction du film m’a plu, on part du procès et du général pour se rapprocher petit à petit des deux femmes puis d’une seule comme une caméra qui zoomerait de plus en plus pour avoir le dernier détail visible de l’image qui aurait débuté avec un paysage. ⠀

Qui sont ces groupies de procès ? Clémentine semble paumée tandis que Kelly-Anne, plus mystérieuse mène une vie solitaire, ascète. On dirait une psychopathe. Le flou est volontaire, c’est perturbant. Quelle est sa motivation ? Pourquoi est-elle fascinée par le tueur et par la mère d’une victime ? Il ne faut rien dire de plus, les surprises arriveront au fur et à mesure et notamment avec une scène ahurissante et terriblement dérangeante lors du procès. Kelly-Anne est folle ou machiavélique ou réfléchie, diaboliquement intelligente ou dans l’improvisation totale ? Est-ce qu’on a bien compris ce qui se déroule sous nos yeux dans la dernière partie complètement démente du film ? Mais qui est cette fille ??? ⠀

Le film réussit à mêler habilement l’histoire des meurtres et du procès avec une réflexion sur la technologie moderne et ses dérives, de l’intelligence artificielle au dark web, des bitcoins à la cybersécurité. Un film exigeant d’une manière positive, on se triture les méninges, on essaie d’apprivoiser une psyché qui nous parait difficile à imaginer tant du côté du tueur que des deux femmes. Un thriller psychologique troublant et intense qui lorgne aussi de côté de l’épouvante. Épouvantable oui, ce qui nous est raconté dans ce film. Juliette Gariepy (Kelly-Anne) est envoutante, dérangeante à la perfection.

Pauvres créatures de Yórgos Lánthimos ⠀

Bella est une jeune femme ramenée à la vie par le brillant et peu orthodoxe Dr Godwin Baxter. Sous sa protection, elle a soif d’apprendre. Avide de découvrir le monde dont elle ignore tout, elle s’enfuit avec Duncan Wedderburn, un avocat habile et débauché, et embarque pour une odyssée étourdissante à travers les continents. Imperméable aux préjugés de son époque, Bella est résolue à ne rien céder sur les principes d’égalité et de libération.

Bella (hallucinante Emma Stone) est un personnage fort, vierge de tout et avide de tout. Rafraîchissante par la façon dont elle se laisse totalement aller. Ses émotions incontrôlées, sa non conscience du bien et du mal vont lui permettre d'être totalement libre lors d'un grand voyage initiatique au bout d'elle même et de la connaissance du monde pour mieux l'appréhender et l'aimer. Mais est-il possible de vivre totalement selon ses envies dans une société conventionnelle ?

A la fin du voyage elle aura reçu plusieurs leçons qui la doteront d'une conscience. Godwin (touchant Willem Dafoe) créateur fou, un "monstre" plein d'humanité, un Frankenstein émouvant dont on aime la relation paternelle avec Bella, elle est son Edward. Beaucoup d'inspirations burtoniennes dans le film... Une beauté formelle magnifique, les plans arrondis sont sublimes, une oeuvre d'art plastique cinématographique. YL nous régale de sublimes décors inspiration Gaudí, il réinvente et enchante Lisbonne, Paris ou un bateau de croisière mais aussi les cieux. Comédie satirique qui dissémine des messages féministes malins ou des réflexions sensées sur le sexe. Le perso de Duncan (Mark Ruffalo déchaîné!) qui se dit émancipé est un vrai bourgeois conventionnel, symbole d'une société figée que Bella essaie, parfois naïvement et souvent intelligemment, de changer. Trash, parfois gore, légère et profonde, mais surtout très drôle, cette fable philosophique sur l'espèce humaine m'a enchantée ! Wouaw !

Moi, Capitaine de Matteo Garrone

Seydou et Moussa, deux jeunes sénégalais de 16 ans, décident de quitter leur terre natale pour rejoindre l’Europe. Mais sur leur chemin les rêves et les espoirs d’une vie meilleure sont très vite anéantis par les dangers de ce périple. Leur seule arme dans cette odyssée restera leur humanité.

L’envie de partir pour avoir une vie meilleure, l’illusion que c’est mieux ailleurs on l’a aussi non ? Cet attrait de l’Europe comme un graal, les illusions de la jeunesse, le sourire de Seydou. Et cet espoir fou d’aller en Europe, un continent où le racisme et l’intolérance vivent toujours leur meilleure vie. A qui se fier lorsque la route est pavée de personnes déshumanisées profitant de la misère ? Une épopée bien trop grande pour Seydou et son cousin. Mais qui peut raisonner deux ados de 16 ans ? Ce n’est pas le courage qui manque en tout cas. ⠀ La simplicité des choses pour des jeunes gens naïfs car confiants en l’avenir et en l’humain. Pourtant sur cette route de la mort et de l’enfer, l’avenir parait bien sombre. ⠀

Quand on risque sa vie, comment de préoccuper de celle des autres ? Seydou ne fléchira pas, c’est tout ce qu’il lui reste, son humanité. Parfois il s’échappe dans le rêve pour mieux supporter, des échappées comme des respirations. Un film qui raconte le réel et s’inspire de témoignages. Des scènes difficiles à regarder et à supporter et pourtant c’est notre monde. Une épopée qui nous parait plus que folle et contrairement à ce que j’ai pu lire dans la presse, il n’y a pas de happy end. Juste la fin d’une étape vers une autre qui s’annonce redoutable. Un très bon film (ça aussi, lire que le film est trop esthétique, comme si la misère n’était pas photogénique... une attaque injustifiée. Oui un désert ça reste beau même si on y meurt) qui passe un message d’amour de son prochain et de fraternité. Haletant, éprouvant et qui fait réfléchir dans le bon sens...

 

La grâce de Ilya Povolotsky

Un père et sa fille adolescente sillonnent la Russie à bord d’un van qui contient tous leurs biens et le matériel d’un cinéma itinérant. Lors de leur périple, de brèves rencontres ponctuent leur solitude. Mais leur vie va basculer sur les rives de la mer de Barents.

Le premier film d’un réalisateur venu du documentaire, ce n’est pas pour rien que le film en a des allures dans cette Russie post soviétique des 90's. Un pays contrasté à mille lieux de ce qu'on connaît. 42 jours de tournage et 5000 km dans l’ordre chronologique et c’est très intéressant de voir l’évolution des personnages en temps réel. Des paysages qui ressemblent aux émotions traversées par le duo. Un cinéma du réel avec de longs plans séquences qui nous mettent à la hauteur de ce que vivent les personnages. ⠀

Un duo taiseux dont ne ne saura pas grand chose si ce n'est une absence que l'on sent, celle de la mère. Une ado qui se transforme et devient rebelle, pour mieux s'émanciper. Un road movie mélancolique, du cinéma qui fait voyager hors des sentiers battus. Un voyage initiatique entre la fin de l'enfance et un deuil à digérer. Comme ce van qui n'arrête pas d'avancer, une fille et son père qui tracent leur route à deux après avoir été trois. Malgré la dureté de cette vie et les silences on sent une certaine complicité entre père et fille, en tout cas de l'amour. Quelque chose d'envoutant dans ce film, de la grâce oui, qui nous happe. Tous les plans de nuit sont magnifiques. Des scènes surréalistes comme ce cinéma en plein air en plein désert. Le cinéma qui vient aux gens qui en sont privés, un bel hommage au 7e art.

Godzilla Minus One de Takashi Yamazaki

Le Japon se remet à grand peine de la Seconde Guerre mondiale qu’un péril gigantesque émerge au large de Tokyo. Koichi, un kamikaze déserteur traumatisé par sa première confrontation avec Godzilla, voit là l’occasion de racheter sa conduite pendant la guerre.⠀

La première apparition de Godzilla est impressionnante, le sol tremble sous mes pieds dans la salle de cinéma. ⠀ Dans un contexte de Japon qui se réveille de ses blessures de guerre, tentant de réparer les dégâts matériels et psychologiques, on va suivre Koichi. Il rentre chez lui, il a tout perdu. Il a survécu à la guerre, à Godzilla et il souffre du syndrome du survivant, rongé par une culpabilité qui l’empêche de vivre. Les épreuves vont s'enchaîner. Un personnage très intéressant qui va devoir continuer à se battre pour survivre et contre lui-même. ⠀

Le film aborde les traumatismes de la guerre, le sort réservé aux kamikazes qui sont rentrés, l’attitude du Japon envers son peuple et ses militaires est dénoncée ici. On sent une évolution pour ne plus glorifier la guerre. Considérations politiques : les enjeux américains, russes et le Japon au milieu. Godzilla la machine de destruction qui représente dans l’imaginaire japonais la bombe nucléaire, est une vraie catharsis des traumas de la guerre. C'est là où le film a réussi son coup : un film catastrophe avec des effets spéciaux géniaux associé à une vraie chronique sociale et politique, une critique intelligente de la société nippone. Les valeurs qui bouffent la société japonaise comme l’honneur et le devoir sont réinterprétées avec des notions d'espoir et d'avenir meilleur. Un sacré spectacle, une histoire de famille composée qui prend au coeur et des scènes folles, atroces et fascinantes. Tout ça pour un budget avec lequel Marvel ne pourrait tourner en moyenne que 6mn de film ! Je ne suis pas spécialiste des fims Godzilla mais après avoir aimé la série Monarch j'avais très envie de voir ce film.

May December de Todd Haynes ⠀

Pour préparer son nouveau rôle, une actrice célèbre vient rencontrer celle qu’elle va incarner à l’écran, dont la vie sentimentale a enflammé la presse à scandale et passionné le pays 20 ans plus tôt.

Elizabeth s’immerge dans le quotidien d’une famille dont elle dissèque les relations pour mieux les digérer et les ressortir dans son jeu. Il y a l’actrice qui étudie en live son rôle et la femme qui tente de cerner cette histoire "d’amour" qui a scandalisé l’Amérique (celle de Mary Kay Letourneau dans les années 90). Questions intrusives, jugements, remuer le passé et mises en situation troublantes de bizarrerie, elle en devient flippante. Jeu de miroir entre deux femmes sur la corde raide. On sent que la façon dont l’actrice va s’approprier le rôle, donnera une image bonne ou mauvaise de Gracie. Elles se jaugent, se jugent, se méfient mais jouent un jeu. Lequel ? Julianne Moore et Natalie Portman sont excellentes. ⠀

Le parti pris du film est à charge contre Gracie. Elle infantilise Jo, le traite un peu comme sa chose, elle envoie des piques insidieuses à ses filles sur leur poids (est-elle jalouse de leur jeunesse ?). Comme si Elizabeth creusait les dessous d’un conte de fées vendu comme tel à la presse et à l’entourage alors que la réalité est plus sombre. Une image de bonheur qui se fissure petit à petit. Jo est-il coincé dans une histoire qui l’a dépassé ? Notion de consentement et mise à jour d’une histoire des années 90 ressentie différemment aujourd’hui. Gracie est-elle une vraie manipulatrice qui veut se faire passer pour une femme naïve ? Jo, Charles Melton touchant en homme qui s’autorise enfin à se poser des questions, un enfant devenu adulte sans passer par la case adolescence, un père à peine plus vieux que ses propres enfants, perdu dans sa propre histoire. Je me suis demandé ce que le film voulait nous dire à la fin mais May December est simplement une chronique de l’instant qui remet en perspective un passé par le biais d’une confrontation entre une actrice forcément vampirisante et son modèle bien plus complexe qu’on ne le pense.

La vie rêvée de Miss Fran de Rachel Lambert

Fran est employée de bureau dans une petite entreprise portuaire de l’Oregon. D’une timidité maladive, cette célibataire mène une existence millimétrée, dénuée de toute fantaisie – exception faite des étranges rêveries auxquelles elle s’abandonne. Mais les choses changent le jour où Robert, nouvelle recrue fantasque et sympathique, fait mine de s’intéresser à elle…

Un très beau générique de début. Fran est seule, chez elle et au bureau pourtant bien entourée par ses collègues avec qui elle se limite au strict échange minimum. Non pas qu'elle ne les aime pas, juste elle n'arrive pas à interagir. Par contre elle écoute et elle observe tout et tout est prétexte à rêverie dans les scènes du quotidien. On ne saura rien d'elle, de sa vie passée, de sa famille. On la prend là, un jour de bureau où une de ses collègues va partir à la retraite. Le film retrace vraiment bien la vie d'un petit bureau, les conversations futiles, les piques ou les petites attentions. Des gens ordinaires qu'on a l'impression de reconnaître. ⠀

Fran est comme dans un grand sommeil dont elle va se réveiller doucement. Grâce à un nouveau collègue intrigué par cette femme silencieuse et qui se retient de vivre, qui se dévalorise en permanence. Elle aura besoin des autres pour se réveiller et se révéler. Très beau message. Se rendre compte qu'on peut avoir besoin des autres et ce n'est pas si terrible... Beaucoup d'humour notamment dans un chat professionnel surréaliste ! Et le cinéma comme façon de briser la glace, j'ai bien aimé cette approche. Un film à la beauté plastique sublime, chaque plan est magnifique qu'il soit un paysage ou urbain. Un film qui m'a émue et que j'ai beaucoup aimé. Daisy Ridley est surprenante dans ce très beau rôle.

Scrapper de Charlotte Regan

Banlieue de Londres. Georgie 12 ans vit seule depuis la mort de sa mère. Elle se débrouille au quotidien pour éloigner les travailleurs sociaux, raconte qu’elle vit avec un oncle, gagne de l’argent en faisant un trafic de vélo avec son ami Ali. Cet équilibre fonctionne jusqu’à l’arrivée de Jason, un jeune homme qui se présente comme étant son père.

Une gamine très débrouillarde et sauvage, vive, intelligente et badass. Un père qui ne ressemble pas aux autres, devenu père bien trop tôt. Sur la réserve tous les deux, ils se jaugent et se défient. Georgie lutte avec toutes ses émotions et sensations qui se bousculent, elle réagit souvent avec rage. L'adolescence confrontée à des situations difficiles. Comment faire une place à Jason ? Et d'ailleurs quelles sont ses intentions ? ⠀

Deux interprètes géniaux et même trois avec le personnage d'Ali, un ado sympa et qui s'adapte à toutes les situations. Des retrouvailles décalées et émouvantes. Petit à petit la prise de conscience de la paternité. Petit à petit le relâchement d'une enfant abandonnée deux fois. La découverte du sentiment d'avoir besoin de quelqu'un. Un joli film doux amer avec une mise en scène punchy et drôle. Décidément Harris Dickinson est parfait dans tous ses rôles, au cinéma ou en séries, hâte de le voir dans Iron Claw.

Le dernier des juifs de Noé Debré ⠀

Bellisha a 27 ans. Gringalet, nonchalant et immature, il est pourtant expert en krav-maga, très demandé sur le marché du travail et doté d'innombrables talents. Du moins c'est ce qu'il fait croire à sa mère Gisèle, chez qui il vit toujours.

Bellisha, loser sympathique se laisse porter par la vie et il aime les gens. Un juif pas vraiment concerné par le judaïsme qui ne comprend pas qu'on le ramène toujours à ça, qu'on le définisse par sa religion. Il ment tout le temps et en premier pour protéger sa mère. A partir des faits réels du départ des communautés juives du 93 à cause de la montée des actes antisémites, le film est une chronique douce amère du vivre ensemble. ⠀ Le repli communautaire qui arrive quand on se sent menacé. On voit bien les contradictions de Gisèle qui trouve toujours à redire sans le penser vraiment. Des moments de partage entre les communautés mais aussi des jugements faciles et des comportements que l'on sent "imposés". Et quand on reste en autarcie, l'intolérance grandit. ⠀ Incroyable de voir à quel point le film est actuel, on pourrait croire qu'il a été tourné hier. Terrible de voir à quel point quelqu'un qui défend une cause peut s'en prendre à des gens complètement innocents ou pas concernés. Le désarroi de ceux qui subissent les conséquences d'une guerre dans laquelle ils ne sont pour rien... Des gens qui ont peur et qui se referment sur eux-mêmes mais on voit bien que lorsqu'on échange et qu'on essaie de s'intéresser à l'autre, il se passe de belles choses. Un joli film, drôle et tendre, empreint de nostalgie.

L'homme d'argile de Anaïs Tellenne

Raphaël n’a qu’un œil. Il est le gardien d’un manoir dans lequel plus personne ne vit. À presque 60 ans, il habite avec sa mère un petit pavillon situé à l’entrée du grand domaine bourgeois. Entre la chasse aux taupes, la cornemuse et les tours dans la Kangoo de la postière, les jours se suivent et se ressemblent. Par une nuit d’orage, Garance, l’héritière, revient dans la demeure familiale. Plus rien ne sera plus jamais pareil.

L'arrivée fracassante de l'insupportable Garance en pleine nuit donne le ton. Elle mène la danse, c'est elle qui décide avec son statut de patronne. Confrontation de milieux sociaux... Elle va pourtant casser la routine de Raphaël (Raphaël Thiery bouleversant de sincérité) et lui ouvrir un nouveau monde des possibles, lui qui n'arrive pas à se regarder dans le miroir. Son regard d'artiste va changer le regard de Raphaël sur lui-même. Une relation particulière se tisse entre les deux. Fantasmes, notion de beauté et de laideur. Très belle symbolique du toucher, sensualité de la sculpture à l'argile. Raphaël rêve, imagine, des choses enfouies ressurgissent et explosent. Il voudrait faire quelque chose juste pour lui, être beau à ses yeux.

Même si sa "monstruosité" fait s'extasier le monde de Garance dans une scène cruelle de retour à la réalité, tout ce qui lui arrive est salutaire. Sa "révolte" contre l'ordre établi, que ce soit dans ses relations avec sa mère ou la postière, sera bénéfique. Une désillusion nécessaire pour reconquérir l'estime de soi. Se transformer en œuvre d'art pour être aimé et s'aimer ? Le film aborde aussi le rapport de l'artiste aux autres, avec le thème de la vampirisation et l'utilisation des gens. Un très beau film sur le regard qu'on se porte, celui des autres et la façon dont les deux peuvent se rencontrer, se confronter ou s'unir.

Making of de Cédric Kahn

Simon, réalisateur aguerri, débute le tournage d'un film racontant le combat d'ouvriers pour sauver leur usine. Mais entre les magouilles de son producteur, des acteurs incontrôlables et des techniciens à cran, il est vite dépassé par les événements. Abandonné par ses financiers, Simon doit affronter un conflit social avec son équipe. Dans ce tournage infernal, son seul allié est le jeune figurant à qui il a confié la réalisation du making of.

Faire un film et tous les compromis qui peuvent aller avec comme accepter un acteur bankable (JoCo qui fait du JoCo mais sans forcer, se moquant de lui-même) à l'ego démesuré. Rien n'est simple, on pense que la prod veut imposer une autre fin, la réalité est bien plus complexe. L'ambiance d'un tournage bien reconstruite : personne ne connait le nom des gens, le figurant qui veut placer son scénario, les "fils de"... (cette blague récurrente est excellente !), ça court partout... C'est le bazar et ça paraît réaliste. ⠀

Cédric Khan en profite aussi pour opposer ancien et nouveau monde notamment #metoo. J'ai beaucoup ri. Xavier Beauvois est hilarant et Denis Podalydès est lui-même, subtilement drôle et émouvant en réal dont le film lui échappe. Il y aussi le discours social du film dans le film, contraste monde du cinéma, monde des ouvriers mais leurs préoccupations peuvent aussi se rejoindre. La meilleure scène du film pour moi est le débat sur le travail, le bénévolat, la valeur du travail. Une scène géniale de prise de becs entre ceux qui acceptent de travailler sans salaire et les autres. Se faire bouffer par le cinéma mais ne pas pouvoir s'en passer. Un film assez cash sur le milieu, très drôle et qui aborde beaucoup de sujets, parfois trop. Mon avis part d'ailleurs dans tous les sens ! Un bel hommage au cinéma tout en le mettant en perspective avec les sujets qui agitent la société. L'aspirant cinéphile incarné parfaitement par Stefan Crépon assure la relève !

 

La fille de son père de Erwan Le Duc

Etienne a vingt ans à peine lorsqu'il tombe amoureux de Valérie, et guère plus lorsque naît leur fille Rosa. Le jour où Valérie les abandonne, Etienne choisit de ne pas en faire un drame. Etienne et Rosa se construisent une vie heureuse. Seize ans plus tard, alors que Rosa doit partir étudier et qu’il faut se séparer pour chacun vivre sa vie, le passé ressurgit.

Rattrapage d'un film de 2023. J'ai bien aimé ce duo père-fille étonnant et émouvant. Une mise en scène qui m'a réjouie par son côté décalé, fun et façon bd. Pour une fois le sujet du départ de la maison pour faire ses études est aussi traité du côté de l'enfant et de ses ressentis. Rosa s'inquiète tout autant pour son père qui va la "perdre" que lui s'inquiète pour elle. C'est intéressant d'avoir ce point de vue. Inversion des rôles. ⠀ J'ai beaucoup ri et été émue car d'un côté j'ai vécu cette séparation récemment (comment j'aurais trop pu aller à Metz moi aussi juste pour voir !) et de l'autre je sais ce que ça représente de grandir sans mère, la notion de manque, les questions etc... On peut dire que le film était fait pour moi ! Beaucoup d'amour, de poésie, d'humour et de vie dans ce film malgré la tristesse de la situation de départ, tristesse qui ne définit pas ce duo père-fille, au contraire. Nahuel Pérez Biscayart et Céleste Brunnquell sont en parfaite symbiose. Un duo joliment complété par Maud Wyler et Mohammed Louridi.

Iris et les hommes de Caroline Vignal

Un mari formidable, deux filles parfaites, un cabinet dentaire florissant : tout va bien pour Iris. Mais depuis quand n’a-t-elle pas fait l’amour ? Peut-être est-il temps de prendre un amant. S'inscrivant sur une banale appli de rencontre, Iris ouvre la boite de Pandore. Les hommes vont tomber… Comme s’il en pleuvait !

Un nouveau monde s’ouvre à Iris, elle est comme une enfant dans un magasin de jouets ! Le but est de retrouver des sensations enfouies et mises de côté et ça marche. Elle irradie chaque jour un peu plus et retrouve l’envie et le désir. Elle a de la chance, tout se passe bien, on croirait le monde rêvé des applis de rencontres, pour le coup c’est un vrai conte de fées car même le pseudo psychopathe du début n’est qu’un homme totalement paumé. La réalité n’est pas vraiment le monde des bisounours... Il faut prendre le film au premier degré, pas trop de nuances et des incohérences. Qui, dites-moi qui, ne mets pas son téléphone en mode silencieux dans des cas comme des interventions dans un cabinet dentaire ou l’utilisation d’une app de rencontres alors que le mari et les enfants sont dans la même pièce ? Qui ? C'est pas cinégenique le mode silencieux mais c'est vraiment un truc qui me gêne dans les films 😅 où souvent des scènes n'existeraient pas pareil avec le mode silencieux. J’ai ri parfois. Laure Calamy est rayonnante, elle pimpe le film tout du long et il y a une jolie scène inattendue en mode comédie musicale. Mais le film ne décolle jamais vraiment et la fin est attendue. Le parti pris conte de fées joyeux donne ce résultat "sympa sans plus". ⠀

 

Un silence de Joachim Lafosse

Silencieuse depuis 25 ans, Astrid la femme d’un célèbre avocat voit son équilibre familial s’effondrer lorsque ses enfants se mettent en quête de justice.

Astrid, on dirait une ado bornée qui ne veut pas dire ce qu’elle sait. Personnage central du film, ambiguë en permanence, ne prenant jamais parti. Un début de film nébuleux, tout le monde savait quoi ? On parle d’une affaire familiale ou de celle dont l’avocat s’occupe en ce moment ? Il faudra 30 minutes pour savoir. ⠀

Un couple qui semble se supporter sans plus, un mère proche de son fils dont les relations sont étranges, on dirait qu’il a 5 ans. Une femme qui fait l’autruche, qui minimise, par peur de perdre sa vie confortable ? Une famille sinistre dans sa grande maison vide et silencieuse. On ne sait pas grand-chose de l’affaire en cours mais je n’ai pas compris pourquoi toute une horde de presse campait 24/24 devant le domicile familial, ça sonne faux. Bon sujet de départ pourtant je n’ai pas trop saisi vers quoi on allait, l’atavisme ? l’omerta familiale ? La fatalité ? Un film sur les ravages du silence, fallait-il pour autant faire un film mutique pour dénoncer ? Un film qui laisse sur sa faim... et sa fin...

Rédigé par Carole Nipette

Publié dans #Avis cinéma-Revue de films

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S
un homme qui a essayé de vivre selon ses principes, mais, par un étrange coup du sort.
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T
Le seul que j'ai vu, c'est Godzilla minus one. <br /> Première fois que je voyais un film "japonais" avec Godzilla, c'est différent d'un film américain "Godzilla contre Kong" dont j'avais trouvé le scénario un brin tortueux... <br /> Comme vous le disiez chez dasola, les aspects sociétaux liés au Japon de l'après-guerre sont bien mis en avant.<br /> (s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola
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G
ça en fait des films et franchement May December et la zone d'intérêt me tentent bien même si les sujets sont radicalement différents !
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